Dans l’œil de Nijinski

“Dans le monde, j’ai rencontré peu de génies, et l’un d’eux était Nijinski. Il était enchanteur, il était divin, sa mystérieuse mélancolie semblait venir d’autres mondes. Chaque mouvement qu’il faisait était de la poésie, chaque saut était un envol vers un pays de fantaisie”, écrivait Charlie Chaplin. Il est peu probable que le génie de Vaslav Nijinski se contenterait de deux ou trois pages dans cet illustre journal. Mais, avec tout l’amour que nous portons à ce héros et à nos lecteurs, nous tenterons de transmettre une goutte de ce génie, capturée à travers le prisme de notre regard contemporain.

“J’aime Shakespeare pour son amour du théâtre. Shakespeare a conçu le théâtre comme une invention. J’ai compris le théâtre à partir de la vie. Je ne suis pas une invention. Je suis la vie. Le théâtre est la vie. Je suis le théâtre. Je connais ses habitudes. Le théâtre est une habitude, mais la vie n’est pas une habitude. Je suis sans habitudes. Je n’aime pas le théâtre avec des coulisses droites. J’aime le théâtre rond. Je vais construire un théâtre rond. Je sais ce qu’est un œil. L’œil est le théâtre. Le cerveau est le public. Je suis l’œil dans le cerveau. J’aime me regarder dans le miroir et voir un œil sur mon front. Je dessine souvent un œil unique. Je n’aime pas l’œil dans un bonnet rouge avec des rayures noires. J’aime l’œil avec des cheveux sur la tête. Je suis l’œil de Dieu, et non un œil belliqueux.”
Vaslav Nijinski, Le Sentiment, Moscou, Vagrius, 2000, pp. 89-90

“Je sais que les gens auront peur de moi, car je dis des choses que je n’ai pas vues. Je dois dire que je vois sans les yeux. Je suis un sentiment. Je ressens. Je sais que les aveugles me comprendront si je leur explique que les yeux sont une chose dépassée. Je dirai qu’il y a des gens sans yeux sur Mars. Que sur Mars, les gens vivent avec amour et qu’ils n’ont pas besoin d’yeux, car il n’y a pas de soleil. Je sais que tous les astronomes crieront que Nijinski est un homme stupide et qu’il ne comprend pas l’astronomie.”
Idem, pp. 242-43