La thérapie génique en rétine médicale
Par Alina Cirneanu
Saviez-vous qu’après la première année d’injections intravitréennes, environ 50 % des patients atteints de DMLA sont perdus de vue ? Et pour ceux qui continuent de recevoir des injections, on observe une diminution de la meilleure acuité visuelle corrigée (notée BCVA), l’un des facteurs étant la difficulté de maintenir le rythme des injections. Les mêmes phénomènes se produisent chez les patients atteints d’œdème maculaire diabétique (OMD) (1-4). Ainsi, il existe une demande pour le développement d’un traitement « minimaliste », aux effets durables, avec le moins de gestes possible ; la thérapie génique pourrait être la réponse.
La thérapie génique consiste à remplacer, dans les cellules du patient, un gène défectueux par une copie saine de ce gène, à simplement désactiver un gène défectueux, ou encore à introduire de nouveaux gènes dans le but de prévenir ou de traiter une maladie. Cette thérapie cible précisément le tissu malade, a des effets à long terme, et représente parfois le seul espoir pour des maladies autrefois incurables. En ophtalmologie, on connaît déjà le Luxturna® (voretigène néparvovec), un vecteur viral adénoassocié (AAV) efficace dans certaines formes d’amaurose congénitale de Leber. Il s’agira alors surtout de gérer les réactions immunitaires (ainsi que les autres effets secondaires) et de réduire le coût (le traitement est extrêmement cher).
Il existe trois voies d’administration possibles : supra-choroïdienne (nécessitant un dispositif spécifique), sous-rétinienne (chirurgicale, comme pour le RT-PA, avec un faible risque de réponse immunitaire et d’inflammation) et intra-vitréenne (à risque élevé de réponse immunitaire et d’inflammation).
ABB-RGX-314, un produit créé par Abbvie et Regenxbio, est un petit virus non pathogène (de la famille des virus adéno-associés) qui contient l’ADN nécessaire à la synthèse d’un fragment d’anticorps aux effets anti-VEGF. Les cellules qui l’engloberont et sécréteront l’anti-VEGF sont principalement celles de l’EP, mais aussi les photorécepteurs. Les études cliniques explorent actuellement deux voies d’administration :
– la voie sous-rétinienne pour la DMLA néovasculaire
– et la voie supra-choroïdienne pour l’OMD et la DMLA néovasculaire.
La voie sous-rétinienne nécessite une vitrectomie avant d’injecter 200 μl de produit dans une ou plusieurs bulles dans la partie inférieure de la rétine. Les études de phase 1 et 2a montrent une diminution des IVTs d’anti-VEGF annuelles de 67 ou 58 %, selon les cohortes, à 3-4 ans après l’administration du RGX-314 (5). Les effets indésirables sont plutôt bénins : on note des hémorragies sous-conjonctivales, de l’inflammation postopératoire courante, et dans 69 % des cas, des modifications pigmentaires rétiniennes périphériques avec des atrophies qui semblent rester stables dans le temps. Les études de phase 2 et 3 (ATMOSPHERE, ASCENT) sont en cours. L’étude de phase 2b AAVIATE explore la réduction du taux annuel moyen des IVTs de ranibizumab chez des patients atteints de DMLA néovasculaire, après un ou deux injections supra-choroïdiennes de 100 μl de RGX-314. En fonction de la dose administrée et de la cohorte étudiée, la réduction du taux d’injections était de 68 à 80 % à 6 mois (6).
D’autres produits en cours d’étude sont le 4D-150 (par 4D Molecular Therapeutics) et l’ixo-vec (ixoberogene soroparvovec, anciennement appelé ADVM-022, par Adverum). Les deux sont des virus contenant les gènes nécessaires à la synthèse d’aflibercept, administrés en une seule fois par voie intra-vitréenne, capables de pénétrer toutes les couches de la rétine jusqu’à l’EP. Ces injections intra-vitréennes sont souvent pourvoyeuses d’inflammation, et nécessitent un traitement à long terme par des corticoïdes locaux (jusqu’à 20 semaines pour le 4D-150).
Le 4D-150 contient également une molécule d’ARNi capable de bloquer le VEGF‑C, ce qui en fait le seul traitement ciblant les quatre molécules VEGF impliquées dans le développement de la DMLA néovasculaire. Les études PRISM de phase 1/2a et 2b montrent une stabilité fonctionnelle et anatomique à 52 semaines. Il y apparaissait une large réduction des IVTs annuelles de 83 % dans le groupe « Severe » et de 89 % dans le groupe « Broad » (non sévère) : 70 % des patients de ce groupe « Broad » n’avaient plus du tout d’IVT d’anti-VEGF supplémentaire !
La tolérance était bonne avec le traitement local : 99 % des patients ont suivi la décroissance des corticoïdes comme prévu, et 97 % ont pu arrêter complètement les corticoïdes. Aucun cas d’effet indésirable grave (hypotonie, effusion choroïdienne, vascularite, occlusion artérielle rétinienne ou endophtalmie) lié à l’injection du 4D-150 n’a été signalé (7). Les études de phase 3 sont encore en cours.
Concernant l’ixo-vec, deux études sont en cours : OPTIC (phase 1), où l’inflammation était contrôlée par des corticoïdes en gouttes ou par voie orale (prolongée à 3 ans), et LUNA (phase 2), où l’administration des corticoïdes est effectuée par voie topique ou intraoculaire (Ozurdex®) ou en combinaison avec de la prednisone orale. Comme pour le 4D-150, les premiers résultats sont encourageants.
Enfin, d’autres produits sont en cours d’étude : le LX102 (administration sous-rétinienne, sécrétion d’aflibercept) et le HG202 (administration sous-rétinienne aussi), visant à réduire la résistance au traitement anti-VEGF‑A (dite « tachyphylaxie »).
En France, le recrutement des patients pour bénéficier du RGX-314 dans le cadre des études cliniques commencera bientôt. Gardons donc un œil grand ouvert pour découvrir quels centres participeront au développement de ce produit révolutionnaire !
Références
D’après la présentation du Pr Laurent Kodjikian (Hôpital de la Croix-Rousse, Lyon). 4e e-SFO d’Automne
1.Creuzot Garcher CP, Srour M, Baudin F et al. Management of Neovascular Age-Related Macular Degeneration Treatment in France from 2008–2018: The Nationwide LANDSCAPE Study. Ophthalmol Ther 2023 ; 12 : 2687-701.
2. Creuzot Garcher CP, Massin P, Srour M et al. Management of diabetic macular oedema in France from 2012 to 2018: The nationwide LANDSCAPE study. Acta Ophthalmol 2024 ; 102 : 548-56.
3. Singer MA, Awh CC, Sadda S et al. HORIZON : an open-label extension trial of ranibizumab for choroidal neovascularization secondary to age-related macular degeneration. Ophthalmology 2012 ; 119 : 1175-83.
4. Rofagha S, Bhisitkul RB, Boyer DS et al. Seven-year outcomes in ranibizumab-treated patients in ANCHOR, MARINA, and HORIZON: a multicenter cohort study (SEVEN-UP). Ophthalmology 2013 ; 120 : 2292-9.
5. Ho A, Avery R, Brown D. Subretinal delivery of RGX-314 for neovascular AMD: end of phase I/IIa study results. Retina Society Meeting 2021.
6. David Boyer. Suprachoroidal Delivery of Investigational ABBV-RGX-314 for Neovascular AMD: Results from the Phase II AAVIATE® Study. ASRS 2023.
7. 4DMT press release. 4DMT Highlights Robust and Durable Clinical Activity for 4D-150 and Design of 4FRONT Phase 3 Program at 4D-150 Wet AMD Development Day. 2024.
