Lettre sur les aveugles de Diderot

Dans les Bijoux indiscrets, roman érotique dans lequel les organes génitaux d’une femme racontaient leur histoire, Diderot rêvait par la liberté du fantastique à une forme d’autonomisation des organes, dans une perspective matérialiste. La Lettre sur les aveugles reprend, d’une certaine façon, le même principe d’une centralité de nos organes de perception. Il s’agira ici de la privation du regard et de ce mystère de la perception du monde pour celui qui n’a jamais vu, à travers une enquête sur deux personnages historiques, l’aveugle de naissance du Puiseaux et le mathématicien aveugle Saunderson. La lettre repose sur un chassé-croisé : le voyant tente de se mettre à la place de l’aveugle et l’aveugle à la place du voyant. 

La Lettre sur les aveugles, publiée en 1749, qui vaudra à son auteur un emprisonnement au donjon de Vincennes, propose une réflexion sur la cécité à travers deux portraits croisés. Par la pathologie, l’aveugle est une figure classique qui permet d’interroger la justesse de l’empirisme, soit l’affirmation d’une origine sensible de nos connaissances. Si l’aveugle est privé d’un sens, sa perception du monde doit en être altérée. Si sa perception du monde est bien modifiée nous pourrons exclure l’hypothèse d’une origine divine de nos idées. 

Cette question s’incarne dans une expérience de pensée fameuse proposée par le savant irlandais Molyneux : si un aveugle de naissance recouvrait la vue suite à une opération chirurgicale, pourrait-il reconnaître une sphère ou un globe qu’il avait déjà touché, par le seul regard ?

Cette expérience pose la question de la raison comme principe unificateur de nos sens, face à une fragmentation de notre identité en une pluralité de sens.