En 2023, la myopie de l’enfant et de l’adolescent est-elle une fatalité ?

La myopie représente un enjeu majeur de santé publique. Ainsi, les projections pour 2050 attendent 5 milliards de myopes dans le monde, dont 10 % seraient des myopes forts (Fig. 1). L’intérêt croissant pour cette évolution de « l’amétropie planétaire » traduit les inquiétudes de voir émerger un nombre important de pathologies ophtalmologiques, voire de cécités, corrélées à l’augmentation des patients myopes [1]. En outre, il existe aussi un lien direct entre le degré d’amétropie et le taux de complications rétiniennes (glaucome, décollements de rétine ou encore néo-vaisseaux rétrofovéolaires) [2].

Peut-on agir en amont ?

La myopie est une affection multifactorielle qui comprend plus de 50 gènes impliqués, mais également une composante épigénétique liée aux modifications comportementales qui pourraient être une explication partielle à cette “pandémie myopique”.

Dans ce contexte, il est du devoir de l’ophtalmologiste d’informer les parents du risque d’apparition d’une myopie, particulièrement si un ou les deux des parents en sont atteints [3]. Ces informations permettent un dépistage et une prise en charge plus précoce et rapide. Pour relayer cette information, la fiche 67 de la Société française d’ophtalmologie est un outil qu’il ne faut pas hésiter à remettre aux parents [4]. 

 

Mesures “éducatives”

Les mesures comportementales ont un effet sur la prévention et/ou l’aggravation de la myopie à condition de les mettre en place le plus tôt possible, voire avant l’apparition de la myopie. Ces mesures sont appliquées largement en Chine, à grande échelle, mais également depuis plusieurs années à Singapour.

Trois recommandations semblent avoir un rôle freinateur. D’abord, l’exposition à la lumière du jour, au moins deux heures par jour, a un effet protecteur. Travailler à une distance de plus de 30 cm de son écran et faire des pauses fréquentes, idéalement toutes les 20 minutes (règles des 20/20 : toutes les 20 minutes regarder 20 secondes par la fenêtre), semble avoir un effet freinateur sur le développement de la myopie. Enfin, dès l’apparition de la myopie, validée sous cyclopégie au minimum une fois par an, on pourra proposer des solutions optiques de contrôle myopique.

 

Quel principe optique pourrait freiner cette évolution ?

Dans l’œil myope l’image se forme en avant de la fovéa, car le globe est trop allongé. Avec un système optique (lunette ou lentille) l’image se replace sur la fovéa. Mais, l’œil étant asphérique, l’image périphérique est projetée en arrière de la rétine. Ce défocus périphérique pourrait donc être un signal d’élongation du globe et donc d’évolution myopique. Ainsi, tous les principes optiques actuels ont pour finalité d’obtenir une image nette sur la plus grande zone de rétine possible (Fig. 2).

 

Corrections optiques

Depuis septembre 2020, nous disposons des verres Miyosmart, du laboratoire Hoya, qui fonctionnent selon la technique des DIMS (Defocus Incorporated Multiple Segments) (Fig. 3) avec plus de 3 années de suivi d’une cohorte d’enfants asiatiques à Hong Kong.

En avril 2021, le verre Stellest™ d’Essilor a proposé de contrôler la myopie par la technologie HALT (Highly aspherical lenslet target) (Fig. 4) qui bénéficie de deux ans de recul avec des études menées à Wenzhou, en Chine. Une nouvelle étude, en cross-over, est en cours sur des patients viêtnamiens. 

Enfin, l’entreprise Zeiss commercialise un verre pour la myopie, le MyoVision Ace, qui n’a cependant pas fait l’objet d’études, bien qu’il soit utilisé depuis environ 15 ans en Asie. Ce verre possède une vision de loin centrale et une addition périphérique croissante jusqu’à 2,5 d.
Le laboratoire Ophtalmic a également sorti un verre de freination de la myopie des enfants, MyoRelax, selon la technologie PAHD (Positive Peripheric Asymmetric Horizontal Defocalisation) commercialisé depuis l’été 2022 et lancé lors du 128e Congrès de la SFO. 

 

Lentilles de contact

Le contrôle de la myopie se fait également avec des lentilles, en association éventuelle avec des verres spéciaux. Il existe des lentilles rigides de nuit : c’est l’orthokératologie. Par le biais de pressions positives et négatives sous la paupière, elles remodèlent l’épithélium cornéen de façon transitoire, sans jamais de contact entre la lentille et la cornée. Cependant, cette solution ne s’envisage que chez des enfants et parents compliants, et l’enfant doit être un bon dormeur. De plus, si la cornée présente une excentricité trop faible (plus plate au centre qu’en périphérie, ou oblate), la lentille sera moins efficace. Cette solution est particulièrement appréciée des enfants sportifs, car ils peuvent s’affranchir de leur correction durant la journée.

Bien évidemment, il y a toujours les lentilles de jour, plus “classiques”. Les lentilles rigides, pour des amétropies plus extrêmes surtout, comme les lentilles Pre Amyopic de Precilens®, qui fonctionnent sur le principe d’un anneau d’addition périphérique modulable (Fig. 5).

Il existe également des lentilles souples avec modalités de port et matériaux variables. 

Parmi les journalières la MiSight®, de Cooper­Vision, en hydrogel “amélioré”, corrige les amétropies de -0,25 à -6 d. Elle possède une double focalisation avec une vision de loin (VL) centrale et deux anneaux d’additions dans la région paracentrale de la lentille (Fig. 6). Elle a obtenu l’agrément de la Food and Drug Administration en novembre 2019 pour le contrôle myopique des enfants de 8 à 12 ans, et possède un marquage CE. Menicon® prévoit la commercialisation d’une lentille journalière en hydrogel, la Bloom Day, avec un principe optique EDOF (Extended Depth of Field), engendrant une focale “étirée”. C.V.E.® commercialise la lentille journalière SEED 1dayPure sur le même principe. 

Du côté des lentilles mensuelles, Mark’ennovy propose la Mylo en silico-hydrogel avec des limites plus étendues (jusqu’à -15 d) et des géométries plus modulables (diamètre et rayon de courbure multiples, fonction de la kératométrie moyenne). En revanche, elle ne corrige pas les cylindres.

Enfin, pour des amétropies plus complexes Precilens propose la Amyopic Silicone, trimestrielle (Fig. 7).

Le laboratoire SwissLens commercialise la lentille Relax Soft, trimestrielle, à addition périphérique et zones optiques modulables, en sphérique ou torique, et même customisable sur leur site web. 

Le laboratoire Tiedra, implanté en Espagne, distribue les lentilles Esencia® et Esencia® Toric, lentilles semestrielles avec vision centrale de loin et additions multi-asphériques.

Pour toutes ces lentilles de contact, le respect des règles d’hygiène est essentiel, comme l’encadrement familial des enfants.

 

Traitement médicamenteux

Seul ou en association aux lentilles ou verres “spéciaux”, les traitements par atropine 0,01 % voire 0,05 % donnent des résultats prometteurs. Suite aux études ATOM1, ATOM2 et LAMP, ces dosages représentent aujourd’hui le meilleur compromis entre efficacité et effets secondaires. Il s’agit d’un traitement pour un minimum de 2 ans, à une goutte par jour, de préférence le soir [5]. Son mécanisme d’action est encore débattu. 

Après l’information, la surveillance est une partie importante de la prise en charge.

Le patient sera revu tous les 6 mois, avec une cycloplégie et une mesure annuelle de la longueur axiale.

L’épaisseur choroïdienne peut se surveiller en OCT-EDI : on attend une évolution annuelle de l’ordre de 0,75 D ou de 0,1 mm de longueur axiale.

 

La meilleure option ?

Il n’existe pas une solution idéale de contrôle de la myopie, mais plusieurs solutions, à utiliser seules ou combinées. Ces solutions doivent être proposées puis choisies en fonction de l’examen clinique, du mode de vie, des envies de l’enfant et en accord avec les parents. Seules les solutions portées sont des bonnes solutions !

 

Conclusion

La prise en charge de la myopie de l’enfant et de l’adolescent a radicalement changé depuis quelques années. Les options ne cessent de s’enrichir, au rythme des études publiées (Fig. 8).

Toutes ces options “thérapeutiques” seront des choix dans la durée, au minimum 2 ans, voire beaucoup plus, jusqu’à l’âge de 20-25 ans, où se stabilise normalement la myopie.

Suivons les publications, car ces modalités de contrôle de la myopie changent, s’affinent et se préciseront de plus en plus ; en attendant des recommandations universelles ? •

 

 

Références

1. Holden BA, Fricke TR, Wilson DA et al., Global Prevalence of Myopia and High Myopia and Temporal Trends from 2000 through 2050. Ophthalmology 2016 ; 123 : 1036–42. 

2. Bullimore MA, Ritchey ER, Shah S et al., The Risks and Benefits of Myopia Control. Ophtalmology 2021 ; 128 : 1561-79.

3. Jones-Jordan LA, Sinnott LT, Manny RE et al., Early Childhood Refractive Error and Parental History of Myopia as Predictors of Myopia. CLEERE Study Group. Invest Ophthalmol Vis Sci 2010 ; 51 : 115–21.

4. SFO, SFOALC. Myopie évolutive [en ligne]. In Fiche d’information, SFO, 2020 [consulté le 5 mai 2022]. Disponible sur : www.sfo-online.fr/sites/www.sfo-online.fr/files/medias/documents/fiche_information_myopie_evolutive_def.pdf.

5. Yam JC, Li FF, Zhang X et al., Two-Year Clinical Trial of the Low-Concentration Atropine for Myopia Progression (LAMP) Study: Phase 2 Report. Ophtalmology 2020 ; 127 : 910-9. 

 

Marie-Aude Lureau-Cornuot déclare être consultante pour CooperVision, Bausch + Lomb et Johnson & Johnson ; et avoir effectué des travaux pour CooperVision.