Une évasion haute en couleurs

En exclusivité pour Mon Œil !, le docteur et conteur Olivier Le Quoy nous offre une short story inédite. Celui de la chirurgie d’une patiente albinos à l’iris bleu transparent, dont les derniers mots pour son chirurgien sont dignes d’une plaisanterie de Woody Allen. Un récit poétique qui illustre merveilleusement la formule d’Aragon dans Les Yeux d’Elsa : « l’iris troué de noir, plus bleu d’être endeuillé ».

Il y a une vingtaine d’années, une patiente, âgée de 69 ans, porteuse du gène de l’albinisme, m’a été adressée pour une chirurgie de la cataracte. Elle se plaignait d’une baisse progressive de son acuité visuelle à moins de 1/10^e des deux côtés. L’œil était vitreux, l’iris de transparence imprécise et d’aspect cotonneux.
J’avais quelque temps auparavant été frappé par une image de couverture publiée par une revue scientifique anglo-saxonne dédiée à l’ophtalmologie et montrant l’aspect de l’œil albinos après chirurgie de la cataracte, photographié au flash (photo n°1). On observait le résultat d’une chirurgie parfaite avec un placement irréprochable de l’implant, qui était visible par transparence totale de l’iris dépigmenté, laissant passer la lumière réfléchie par le fond d’œil. Les haptiques ou pattes de l’implant, ici colorées en bleu, se déployaient élégamment dans le sac capsulaire en contribuant au parfait centrage de la lentille artificielle. Très dubitatif sur cette chirurgie apparemment parfaite, je me suis demandé quel avait pu être le gain fonctionnel post-opératoire pour ce patient sachant que la photophobie [= sensibilité désagréable à la lumière, NDLR ] n’avait pas été prise en compte et qu’elle allait de toute évidence contrarier toute amélioration fonctionnelle.